Tribune AFJEL  » Jeux d’argent : l’urgence d’une législation efficace »

Fraudes massives, cybercriminalité, mécaniques de jeux faisant exploser le jeu excessif, incitation au jeu des mineurs, nous ne pouvons plus ignorer les conséquences de la prolifération du jeu en ligne illégal pour les 3 millions de joueurs qui s’exposent à des risques majeurs sur les sites de casinos en ligne illégaux.

Nous ne pouvons plus fermer les yeux. Avec 3 millions de joueurs, l’activité illégale des casinos en ligne en France ne peut plus être ignorée dès lors qu’elle atteint une telle ampleur.

Derrière ces 3 millions de joueurs, ce sont des hommes, des femmes, de tous âges, et parfois même des mineurs qui s’adonnent à cette activité accessible en un clic sur Internet, sur des sites en langue française, en totale méconnaissance des risques et du caractère illégal de ces casinos virtuels. Les publicités pour ces sites inondent le paysage numérique, des réseaux sociaux jusqu’à la presse régionale. Le grand public les connait grâce à des influenceurs, des sportifs de haut-niveau ou des partenariats à forte visibilité. Leur présence s’est tellement banalisée que 4 Français sur 5 en ignorent aujourd’hui l’illégalité.

Lors de la régulation des jeux d’argent en ligne en 2010, la France a fait le choix de maintenir l’interdiction des casinos en ligne, estimant pouvoir en détourner les joueurs. Un choix qui n’a pas été payant, avec une croissance ininterrompue de cette activité illégale depuis 13 ans atteignant des proportions inédites et inquiétantes.

Avec 3 millions de joueurs aujourd’hui et un marché clandestin évalué à 1,6 milliard d’euros, il est indéniable que la politique française d’interdiction des casinos en ligne est inefficace, isolant la France dans une Europe qui a régulé efficacement cette activité partout ailleurs.

Les conséquences de l’explosion de cette offre non régulée sont graves, créant de fait une zone de non-droit où tout le monde y perd, sauf des centaines d’acteurs illégaux, opérant depuis l’étranger.

Ce sont aujourd’hui 3 millions de Français qui fréquentent ces sites illégaux sans aucune mesure de prévention du risque d’addiction. En effet, ces plateformes ne mettent en place aucune mesure pour empêcher les mineurs de jouer ; pour bloquer les interdits volontaires de jeu ; pour aider les joueurs présentant des comportements à risque ; ou pour limiter les mises et les temps de jeu, contrairement aux obligations respectées par les opérateurs agréés en France. Il en résulte une explosion du nombre de joueurs pathologiques, les associations d’aide aux joueurs faisant état d’une multiplication par trois depuis 2018 des appels pour des cas d’addiction venant de ces sites illégaux.

Ce sont aujourd’hui 3 millions de Français qui peuvent également être les victimes de fraudes, de gains non payés et de vols de données, sans aucun recours possible contre ces sites illégaux, souvent basés sur l’île caribéenne de Curaçao.

Ce sont 3 millions de Français qui sont exposés à des sites illégaux qui dissimulent des activités criminelles allant du blanchiment d’argent à l’usurpation d’identité ou au vol des moyens de paiement.

Ce sont aussi 3 millions de Français qui, en empruntant la voie des circuits illégaux – faute de disposer d’une offre régulée, sûre et protectrice -, alimentent cette économie souterraine. Ce sont autant de sommes qui échappent complètement à l’impôt, alors que traditionnellement, les jeux d’argent étaient conçus pour soutenir des secteurs d’activité tels que la filière hippique, le monde du sport et diverses causes d’intérêt général.

L’interdiction française est désormais une façade virtuelle, tandis que les conséquences de cette activité en ligne sont bien réelles, elles, principalement en matière de santé publique.

À l’heure où la représentation nationale s’emploie à sécuriser et réguler l’espace numérique, il est urgent d’agir et de placer la lutte contre le jeu en ligne illégal au cœur des priorités par la mise en place d’une régulation stricte des casinos en ligne. Les précédents dans la régulation du poker en ligne ou encore dans le développement de l’offre légale de streaming montrent que, dans l’espace numérique ouvert d’Internet, seul le développement d’une offre légale peut mettre un terme à l’activité illégale.

Nous ne pouvons plus laisser l’addiction aux casinos en ligne continuer de se propager. Nous ne pouvons plus laisser les Français seuls face aux dangers de ces sites illégaux. Régulons le casino en ligne. Confions-en le contrôle étroit à l’Autorité nationale des jeux. Choisissons nos opérateurs avec des procédures d’agrément strictes. Luttons contre la concurrence déloyale de ces sites. Fiscalisons les recettes issues de ces jeux afin de financer des causes d’intérêt général. Protégeons les Français grâce à une politique de santé publique exigeante. Empêchons les mineurs de jouer à ces jeux d’argent.

Ne détournons plus le regard face à ces 3 millions de joueurs en danger et pensons à ceux qui pourraient l’être demain. Il est désormais de notre responsabilité collective d’informer, d’alerter et de mettre en place les mesures qui s’imposent en faisant de la lutte contre le jeu en ligne illégal une priorité de politique publique.

Régulons et sécurisons enfin le casino en ligne.

Tribune publiée le 27 septembre 2023 dans les Echos